Jean-Gabriel Périot questionne Une jeunesse allemande mais également nos valeurs

 

Depuis longtemps, Jean-Gabriel Périot travaille et interroge la mémoire des hommes via leurs archives en décalant propos et point de vue : il nous fait entrer dans l'histoire de la libération par la femme tondue (Eût-elle été criminelle...), dans l'ère atomique par les victimes et les survivants d'Hiroshima (200000 Fantômes), dans la mondialisation par les manifestants (L'Art délicat de la matraque) et cette fois-ci dans les années soixante et soixante-dix par l'idéal d'Ulrike Meinhof. Jean-Gabriel Périot a ainsi pris l'habitude comme au judo de déséquilibrer le partenaire, non pour le terrasser mais pour mieux le mettre en situation de réflexion.

La force d'une œuvre quelle que soit sa nature réside dans sa capacité à questionner différemment le spectateur en fonction de la place qu'il occupe ou en fonction de la période à laquelle il la reçoit. Selon qu'il restera campé sur ses principes ou sur ses certitudes ou qu'il se laissera porter par les images et les témoignages, le spectateur verra deux films-documentaires différents. De même, ce film fonctionne avec un avant et un après 13 novembre et ceux qui l'ont vu à sa sortie seraient bien inspirés de le revoir aujourd'hui.

Si Jean-Gabriel Périot manie allègrement l’oxymore, en jouant sur les perceptions actuelles d'une ou de mémoires, il affectionne visiblement de nous faire pratiquer le grand écart intellectuel, idéologique, philosophique, nous entraînant ainsi dans sa réflexion qui, en grand sage qu'il sait être, n'offre aucune réponse.

Il y a certes un déclencheur : le champignon atomique dans 200 000 fantômes marque le point de rupture d'un avant et d'un après qui seront tour à tour ni tout à fait semblables ni entièrement différents. Dans une Jeunesse allemande, le nazisme est présenté comme le déclencheur, le fait qui détermine le destin des individus mais il n'est pas le seul.

Jean-gabriel Périot joue également avec les focus. Dans 200 000 fantômes, le focus géo-centré du dôme d'Hiroshima nous guide comme une balise mais ne nous aveugle point. Dans Une Jeunesse allemande, le film qui pourrait se centrer sur le héros éponyme de la Rote Armee Fraktion dite « Bande à Baader », se construit autour de son idéologue Ulrike Meinhof, figure emblématique du socialisme révolutionnaire allemand comme le fut Rosa Luxemburg à son époque sans être éclipsée par son acolyte spartakiste Karl Liebknecht. Communauté idéologique, communauté de destin entre deux femmes majeures du mouvement.

Dans Eût-elle été criminelle..., le sort des tondues au son tonitruant d'une Marseillaise de vainqueurs nous questionne sur la collaboration mais également sur la probité des vainqueurs d'un jour. Dans Une Jeunesse allemande, le film nous questionne à la fois sur le processus de radicalisation en donnant des pistes et en aucun cas des explications didactiques mais il questionne parallèlement la dérive sécuritaire qui lui est liée, son abondance de réponses circonstancielles et sa grande indigence en termes de réponses structurelles.

En réfléchissant à cette époque, au regard de ce que les images vous donnent à voir, notre esprit questionne alors parallèlement la nôtre et le rôle des artistes, des intellectuels, de la presse et des médias en général. Mais le film vous questionne aussi sur les paradoxes d'une démocratie qui en défense ne pense qu'en termes de privations de liberté ou sur les paradoxes d'une République qui en défense ne se pense qu'en génératrice de nouvelles inégalités.

Bref comme d'habitude, Jean-Gabriel Périot joue de nos contradictions ...pour le plus grand bien de notre intellect. Surtout, qu'il continue par son travail salvateur à nous déséquilibrer, à nous bousculer et à jouer de nos certitudes !

 

Théodore Charles
Un culte d’art
27 Décembre 2015
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